Un printemps contrasté, un futur plein de questions
La première partie d’année s’est finalement avérée plutôt bonne pour la filière. Mais entre montée prévisible du chômage et incertitudes du côté des collectivités, elle aborde l’automne avec plus de doutes que de certitudes.
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La saison de printemps s’était terminée sur un constat largement partagé au sein de la filière : hormis celles du secteur du paysage, les entreprises ont plutôt bien tiré leur épingle du jeu. La situation est évidemment variable d’une région ou d’une société à l’autre, mais au global, après une grosse frayeur en mars, la saison a pu se faire, voire s’avérer très bonne pour certains.
Brand Wagenaar, qui, après une longue carrière dans la filière, en particulier au sein du cabinet Medioflor, l’observe toujours au niveau international pour Val’hor, l’a confirmé lors du plateau télévisé proposé par le Salon du végétal dans le cadre de son édition virtuelle d’automne (voir pages 6 et 7), le 14 septembre. Chargé de faire le point sur la situation mondiale, il a expliqué que la bonne tenue du marché constatée au printemps, dès la reprise de l’activité des points de vente en avril, s’était poursuivie aux mois de juillet et août à l’échelle du continent. Certains produits sont devenus introuvables, tels que les lavandes en pots ou les plants de légumes. Il estime que les ventes ont été bonnes et que les prix se sont bien tenus, offrant aux producteurs un bon niveau d’activité et des marges correctes. « Certains affirment même qu’ils n’avaient jamais réalisé une aussi bonne année », précise-t-il.
Un dénouement inespéré
encore à la mi-mars
Cela ne doit évidemment pas effacer les situations difficiles de ceux qui ont dû jeter de grandes quantités de végétaux invendables alors qu’ils étaient à leur meilleur niveau au début de la crise ou qui n’ont pu mettre en place la logistique nécessaire pour assurer les approvisionnements des clients potentiels. Mais si la situation est contrastée, la filière aurait signé pour un tel atterrissage lorsque tout s’est retrouvé bloqué à la mi-mars.
Ce constat vaut cependant pour les entreprises s’adressant au marché des amateurs. Du côté du paysage, la situation est plus contrastée. Fanny Maujean, la directrice des parcs, jardins et paysages de la Ville d’Angers et d’Angers Loire Métropole (49), a expliqué lors du même plateau télévisé que son service n’avait pas été totalement bloqué très longtemps. Le service achat est resté actif et les jeunes plants commandés aux entreprises ont été mis en culture dans les serres municipales pour assurer un fleurissement à hauteur de la moitié de ce qui est réalisé d’ordinaire. Les arbres, eux, avaient déjà été plantés. Mais ce n’est pas le cas dans toutes les villes de France. Les chantiers de plantation de ligneux, d’arbres et/ou d’arbustes ont souvent été reportés, obligeant les pépinières à garder les plantes en culture dans des conditions parfois ardues.
« Les producteurs auraient dû faire un excellent printemps. Il ne faut pas paniquer et on espère de bons reports à l’automne, mais, finalement, les entreprises peuvent boucler tout juste leur année », estime ainsi Michel Le Borgne, le président du pôle Paysage de la Fédération nationale des producteurs horticulteurs pépiniéristes (FNPHP). Du côté des entreprises du paysage, l’année semble aussi se terminer à l’étale : « Les aides de l’État nous ont permis de boucler à l’équivalent d’une année normale », explique Patrick Dumas, qui dirige l’entreprise Compagnie méditerranéenne d’espaces verts (CMEV), près de Nîmes (30).
Les confinés ont bichonné leur jardin ou leur balcon
L’effet « cocooning » pressenti en début de crise (éditorial du Lien horticole n° 1094 d’avril) a donc plutôt bien fonctionné. De nombreuses personnes ont confirmé leur attirance pour le végétal ou bien se sont découvert une passion pour le jardin, à l’occasion du confinement. Les sorties n’étant plus possibles, le jardin, le balcon ou la terrasse ont joué plus pleinement que d’habitude leur rôle de refuge et de ressourcement. « Aux États-Unis, certains estiment que ces nouveaux consommateurs seraient entre seize et vingt millions », précise Brand Wagenaar.
Dans le même temps et dans le même ordre d’idée, les parcs et jardins urbains ont, dès qu’ils ont rouvert, connu une belle fréquentation. L’été encore chaud et sec, qui suscite des questionnements de plus en plus fréquents sur le réchauffement climatique et la nécessité de renforcer le végétal en ville, ne va pas freiner cette attente des citadins, au contraire. Ni les programmes sur lesquels ont été élus les maires des grandes villes.
Incertitudes sur les budgets de plantation des villes
L’ensemble devrait ouvrir des perspectives positives pour les prochains mois. Sur le terrain, le ton est pourtant à la prudence. Et pour cause, dans ce ciel plutôt dégagé pour les métiers du végétal, certains nuages menacent.
Celui de la conjoncture, tout d’abord. Pour l’instant, les consommateurs n’ont pas encore trop perdu de pouvoir d’achat, en raison du recours massif au chômage partiel ou des aides aux entreprises, entre autres. Mais il est connu que les prochains mois seront compliqués, les licenciements nombreux. Les milliards mis de côté par les Français durant le printemps, dont le montant total a battu un record si l’on en croit les spécialistes, pourraient alors se diriger plutôt vers des produits de première nécessité. Ou rester au chaud en prévision de jours plus difficiles. Les secteurs qui ont assez bien traversé la crise, comme le bricolage, par exemple, ne masqueront peut-être pas longtemps ceux qui sont au bord de l’implosion, comme certains pans du tourisme ou des transports.
De même, du côté des collectivités, si la volonté de planter massivement les villes est sans cesse réaffirmée, les professionnels restent perplexes : « Il est difficile d’anticiper ce que sera la commande publique au cours de l’automne », estime Patrick Dumas. À Angers, Fanny Maujean explique que la démarche mise en place de planter cinquante arbres fruitiers, notamment, sera poursuivie. À Changé (53), une ville qui jouxte Laval, où les plantations d’arbres n’étaient pas terminées et où tout a été remis en culture par les pépinières qui fournissent la collectivité, le maire, Patrick Péniguel, affirme que tout sera planté dès cet automne.
Mais au-delà de l’horizon de l’automne et de l’hiver, quelle sera la capacité de financement des villes, dont les ressources vont forcément pâtir d’une conjoncture économique ardue ? En année post-électorale, les projets en cours sont souvent remis à plat, la surchauffe que l’on aurait pu imaginer en raison de la combinaison « plantations d’automne + plantations en retard du printemps » n’aura sûrement pas lieu. Mais il faut déjà espérer que le niveau reste suffisant pour faire travailler les entreprises.
Un avenir bien difficile à prévoir
L’avenir est donc difficile à prévoir. « L’un des enjeux sera de fidéliser les nouveaux consommateurs », précise Brand Wagenaar. Et de choyer les autres, bien sûr. Les nouvelles qui viennent des agences immobilières sont plutôt intéressantes : les biens dotés d’un espace extérieur sont très recherchés, les gens ayant subi le confinement sans pouvoir prendre l’air étant prêts à investir pour mieux affronter d’éventuels autres épisodes du même acabit. Mais si le chômage monte de manière inquiétante, il n’est pas sûr que tous aient les moyens de réaliser leurs rêves. En restant pragmatique mais optimiste, vu le contexte, mieux vaut aujourd’hui, dans son activité, miser sur la production de biens pour le jardin que de trouver de nouveaux débouchés basés sur le transport aérien !
Pascal FayollePour accéder à l'ensembles nos offres :